L'historien et politologue camerounais, Achille Mbembe, livre son point de vue sur les crises qui secouent le continent. Aucun État africain, dit-il, n'est à l'abri d'une désagrégation. Dans cet entretien, l'un des plus grands théoriciens du post-colonialisme prône, entre autres, la construction d'un véritable agenda africain face au risque de dislocation des États.
La crise entre les deux Soudans fait des milliers de déplacés. L'ONU craint un désastre humanitaire. Êtes-vous surpris par la tournure des événements ?
Non. Ce qui se passe dans cette partie de l'Afrique était prévisible. C'est un conflit qui est inscrit dans une dynamique historique très longue. Et c'est dommage qu'on en arrive là. Au lieu d'un vaste espace ouvert, de circulation des hommes, des biens et des idées, l'on assiste à la création de micro-États sans voie ni poids propre. Nous devrions aller dans la direction opposée. La manière dont la plupart de nos États sont gouvernés crée, malheureusement, des conditions telles que, pour beaucoup de gens, la seule solution est celle séparatiste. C'est ce qui se passe au Soudan. On le voit aussi au Mali. Le Nigeria également n'est pas à l'abri d'une dislocation. On assiste véritablement à une désagrégation des États africains. Aucun État africain n'est à l'abri de ce désastre.
Actuellement, toute la bande saharo-sahélienne est menacée. Pourquoi, selon vous, des groupes se disputent le contrôle de cette région ?
Le Sahara fait l'objet d'énormes convoitises. On se rend compte du fait qu'il n'est pas qu'un désert et qu'au fond, il recèle d'énormes richesses minérales, du pétrole, du gaz, de l'uranium, etc. Il est convoité par des puissances externes à l'Afrique dont les intérêts ne sont pas nécessairement les nôtres. La course aux matières premières africaines entraîne des dangers, plus ou moins, similaires.
L'idée de faire appel à des forces étrangères pour aider le Mali à défendre son intégrité territoriale est évoquée. Pensez-vous que c'est la bonne solution ?
Les interventions, à la fois militaires et économiques, des puissances occidentales n'ont rien produit de positif pour les Africains. L'histoire le démontre. Je demande que l'on me cite un seul exemple d'intervention extérieure qui ait accéléré le développement du continent. Il n'y en a pas. Dans la plupart des cas, ce sont des interventions qui compliquent davantage la chaîne locale et dont les coûts humains, économiques et sociaux sont incalculables. On l'a vu en Libye où l'Otan est militairement intervenue sans en mesurer les conséquences sur les populations. Je suis contre les interventions extérieures en Afrique. Ce qui signifie, en retour, que le continent devrait se doter des moyens internes pour se gouverner lui-même. Pour le moment, ce n'est malheureusement pas le cas.
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Lire l'intégralité de l'entretien d'Abdoulaye Diallo avec Achille Mbembe sur le portail Web du quotidien Le Soleil (en lien).