Voyage En Afrique

  • Voyage En Afrique
Date de création : 03/12/2002
Genre : Théâtre
Rubrique : Théâtre

A / Prologue
Deux Africains dialoguent, sur la scène, ils voient le pays de loin et parlent de lui. Mais ce sont des acteurs : ils prononcent des phrases qui ont été écrites par un autre, qui n'est pas Africain.

B / Mitterrand et Sankara
"Les personnages de cette pièce, outre moi qui parle d'art - et, je vous préviens, je suis assez intarissable (je compte sur votre endurance) - les personnages de cette pièce sont deux présidents de pays. Ce sont des personnages historiques, figurant, par conséquent, des êtres qui furent libres avant leur mort aussi attestée que le fût leur vie. J'ai dit qu'ils étaient morts, ce qui est vrai. Mais ce qui n'empêche pas qu'on parle d'eux, encore, et qu'on convoque ici pour le théâtre simple des copies, je le reconnais, bien approximatives. Il y a le capitaine président du Burkina Faso, Thomas Sankara. Il y a le président de la République française, François Mitterrand. Entre nous, ce sont tous les deux de sacrés numéros.

François Mitterrand et Thomas Sankara. Ces deux phénomènes se sont rencontrés quelquefois, au milieu des années quatre-vingt. Et toujours, ils se sont attirés l'un l'autre, interrogés l'un l'autre, agacés l'un l'autre. Il est juste de dire que c'est plutôt le jeune Sankara qui, à ces occasions, fut en position de mordiller, parfois de mordre, les mollets septuagénaires du buffle d'apparence un peu hiératique et blasée.

Faites comme moi… fermez les yeux, quelques instants, et écoutez bien…La scène est sur la scène, et la scène qui représente la terrasse de la présidence, à Ouagadougou, le 17 novembre 1986. Le lieu est sobre et dépouillé. Des néons sont accrochés verticalement aux troncs des palmiers. Une longue table a été dressée. Chaque convive a devant lui trois verres. La nuit est douce, presque fraîche. Des chauve-souris dansent un ballet qu'il vaut la peine, un temps, de suivre. Leur cri est un beau cri inconnu dans les Landes. Il n'y aura pas de bande son. Ouvrez les yeux, vous êtes au théâtre, au théâtre simple."
Jacques Jouet

Mitterrand et Sankara
J'ai traité dans Mitterrand et Sankara le célèbre face à face aigre-doux des deux présidents, en 1986. Mitterrand termine à Ouagadougou une tournée dans plusieurs pays de l'Ouest africain. Au cours de la réception officielle, Thomas Sankara, le capitaine-président du Burkina Faso adresse à Mitterrand une longue semonce improvisée et peu diplomatique sur les thèmes du néo-colonialisme, de l'apartheid, des relations Nord-Sud… bref de tous les sujets qui fâchent et sur lesquels ne peuvent que s'opposer le bouillant révolutionnaire africain et le socialiste tiédi aux commandes de l'ancienne puissance coloniale. Les deux personnages sont accompagnés, dans la pièce, par "Le Théâtre simple", allégorie de l'art scénique qui propose une règle du jeu un peu particulière pour le déroulement de la pièce, lequel est amené à changer à chaque représentation.

Apparition du Théâtre simple
Le Théâtre simple, qui n'est pas le théâtre pauvre, est apparu pour la première fois à Ouagadougou en juillet 1998.
Le Théâtre simple est une forme fixe d'écriture et de représentation théâtrales.
De même qu'il y a des poèmes à forme fixe (le sonnet, le pantoum, la morale élémentaire…), il y a des formes fixes d'écriture et de représentation théâtrales : la tragédie classique française, l'auto-sacramental… La belle ambition que d'en ajouter une ! L'intérêt, à mes yeux, de la forme fixe (sachant qu'il n'y a aucune raison de ne travailler qu'avec des formes fixes) est d'assurer, avec le public et entre gens de théâtre, une certaine communauté de la forme : la forme est montrée, partagée, collective, claire, irréligieuse, spiritualiste simple, locale, mémorable, transitoire, drôle, réutilisable…
Une pièce de Théâtre simple est une pièce courte (pas plus d'une heure de scène) à trois personnages. L'un se nomme le Théâtre simple. C'est un personnage théorique. C'est un personnage qui parle de la forme théâtrale et des règles de la ritualisation. Le Théâtre simple dit que le Théâtre simple est dit simple parce qu'il recourt à des moyens fondamentaux : corps, voix, parole. Lumières, décors, costumes, musiques, accessoires, n'étant à sortir que peu. Le Théâtre simple organise la circulation de la parole entre lui-même et deux autres personnages. Ces deux autres personnages ont, entre eux, une action fictive. À l'occasion, si besoin est d'un troisième personnage, le Théâtre simple intervient pour dépanner.

La forme fixe étant par définition une forme libre, le Théâtre simple cherche la variable dans la fixité. Comment, par exemple, chaque représentation de la même pièce de Théâtre simple peut-elle être objectivement unique, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ? Comment peut-elle faire bouger, délibérément, le sens ?
Les trois acteurs personnages de la pièce de Théâtre simple Mitterrand et Sankara ont dans la bouche des grains de maïs. À un point précis de son texte, chacun d'eux, tour à tour, doit cracher un grain de maïs en direction d'une calebasse pleine d'eau. En cas de réussite, plouf, il continue son propre texte. En cas d'échec, il passe la parole au voisin. Il n'y a jamais deux déroulements scéniques identiques.
Ce n'est pas exactement un processus aléatoire. L'aléatoire peut être une solution pour la variable du théâtre simple, mais ce n'est pas la seule. L'adresse du comédien ou son libre-arbitre ne relèvent pas de l'aléatoire.
La joute de Mitterrand et de Sankara n'est donc pas strictement identique suivant les représentations. En particulier, on ne peut pas savoir a priori si c'est Sankara, Mitterrand ou Le Théâtre simple qui aura le dernier mot.
Jacques Jouet




Thomas Sankara
Thomas Sankara, né à Yako en Haute Volta (actuel Burkina Faso) en 1949, est sans doute le personnage de l'histoire Burkinabé le plus connu dans le monde. Au-delà de son rôle historique réel, il est devenu un symbole pour bien des Africains, et même au-delà du continent il est l'objet d'une vénération que l'on peut comparer, par exemple, à celle qui est vouée à Che Guevara. En novembre 1986, dans un discours fait à François Mitterrand en visite à Ouagadougou, il dit notamment : "Parce que de toutes les races humaines, nous appartenons à celles qui ont le plus souffert, nous nous sommes jurés de ne plus jamais accepter sur la moindre parcelle de cette terre le moindre déni de justice."

Il fut assassiné par son bras droit, Blaise Comparoé, actuel président, suite à un coup d'état orchestré le 15 octobre 1987. Toute la population Burkinabé défila dans les rues pour pleurer l'enfant chéri et les jours suivants, des milliers de personne se rendirent sur sa tombe et condamnèrent ainsi le crime.

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