Mamad tente d'ouvrir les yeux, mais il n'y parvient pas. Ses paupières, gorgées de sel et de sang, refusent d'obéir à son cerveau. Autour de lui, les objets continuent de flotter dans le brouillard. Un goût d'hémoglobine traîne sur ses lèvres sèches et bouffies. En face de Mamad, le Blanc est méconnaissable. Il a les yeux injectés de sang. Une épaisse écume blanchâtre auréole les commissures de ses lèvres. Les veines de son cou tendues à se rompre. De grosses gouttes de sueur perlent sur son front, qu'il essuie du revers de sa manche retroussée, entre une calotte et une autre. Mamad n'a plus la force de crier. Du regard, il implore pitié. Mais le Blanc cogne, tel un forcené, tout en crachant ses injures.
Deux hommes s'affrontent quelque part dans la jungle africaine. Laurent Kala, le Blanc, pris de folie furieuse, est sur le point de tuer Mamad, son domestique noir... Comment les deux hommes en sont-ils arrivés là ?
Issu d'une famille nombreuse, Mamad n'a pas connu son père. Pour faire vivre la famille, sa mère vend des fripes sur les marchés. L'école est loin : chaque jour Mamad parcourt des kilomètres à pied, l'estomac vide. Cacher à ses camarades de classe sa situation précaire, maîtriser les nausées qui lui tordent l'estomac… tel est son combat quotidien. Grâce à son exceptionnelle mémoire, Mamad a peut-être une issue : décrocher une bourse, faire des études, trouver un emploi et mettre la famille à l'abri. S'il échoue, il lui restera la solution de tous les désespérés de la terre : fuir son pays vers un avenir meilleur.
Laurent Kala, Français expatrié, travaille pour une ONG. Il a grandi dans le XIVe arrondissement. Il a perdu son père alors qu'il avait dix ans, tué lors d'une manifestation de protestation contre l'assassinat de Martin Luther King. Son père était particulièrement attentif à la cause des Noirs, ce qui a toujours intrigué Laurent. Comment le fils de cet humaniste a-t-il bien pu se transformer en bête féroce et sanguinaire ?
A la fois grave et tendre, et non sans humour, le roman de Louis-Philippe Dalembert dresse des portraits émouvants d'hommes et de femmes accrochés à leur humanité, au milieu des relents de racisme et de colonialisme engendrés parfois par la présence à l'étranger d'expatriés français.