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Combien d'histoires se croisent, se tissent ou se taisent dans un bar ? Combien se devinent ou s'inventent sur le zinc, dans les rumeurs de la journée qui passe ?
Chez Max, rue Voltaire, il y a les habitués : Monsieur Pierre et Madame Michèle, le couple Jourdan et leur éternelle partie de cartes. Il y a aussi Max, le serveur, quelques oiseaux de passage et la narratrice : une femme à l'âme amoureuse de tango et de matins bleus.
Une femme qui s'imagine des vies, derrière les visages... Les gestes des uns, les bribes de conversation des autres font resurgir les souvenirs et dessinent les contours d'une vie qui se construit, entre révolte et aliénation, avec et contre les hommes. Oscillant toujours entre les deux seuls qui aient compté : le père et le frère.
Avec Mes hommes à moi, Ken Bugul offre une parole forte, une introspection profonde d'une grande lucidité et d'une incroyable franchise. Un texte bouleversant sur l'intime, et la construction de soi.
Une histoire en forme de confession, que l'on voudrait entendre chuchotée à son oreille, une parole libre dont on a aussi envie de crier les moments de révolte.
L'écriture de Ken Bugul toujours engagée et volontiers dérangeante, en fait une des grandes voix de la littérature africaine contemporaine.
Extrait du livre :
Ce matin-là, j'étais installée sur un canapé en cuir, savourant le calme des premières heures en écoutant du tango en sourdine. Le canapé en cuir me stabilisait par son confort et me revigorait de sa chaleur diffuse. J'ai toujours eu une attirance pour le cuir. J'étais, comme on dit, une fétichiste du cuir. Pourquoi n'ai-je jamais essayé un attirail en cuir pour résoudre, peut-être, le problème de ma sexualité ? "Rien à voir", me disais-je. Le problème de ma sexualité était ailleurs et je n'osais pas ou ne voulais pas me l'avouer. Et sur ce canapé, tout d'un coup, j'avais senti, en moi, gronder une révolte que je refoulais. Je réalisais que la plupart du temps, je jouais à celle que je n'étais pas, mais juive je voudrais être et là, je ne jouais plus.
J'en avais marre du jeu.
J'avais un coup de blues terrible et m'en voulais à mort de toutes ces contradictions que j'emmagasinais. Et quand je me retrouvais seule, je sombrais dans une profonde mélancolie que nul ne pouvait deviner en moi. C'était vraiment assez !
Toujours des salamalecs avec moi-même !
J'en avais marre de jouer !
Je ne faisais que jouer et à perte.
Je faisais mon numéro et j'allais avoir soixante ans.
J'en avais ras le bol !