En traitant du fait national modelé par l'idéologie coloniale, ce livre renverse les perspectives habituelles et poursuit l'investigation dans un champ encore neuf : la mise sous tutelle de la France par elle-même, sous l'empire de sa propre propagande. En un peu plus d'un demi-siècle, des débuts de la IIIe République à l'Exposition de Vincennes de 1931, la France a changé sa relation au monde. Loin de n'être que des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française qui renforcent, légitiment et alimentent la République dans sa dynamique interne. C'est à ce niveau que le concept de culture coloniale prend tout son sens. Il ne s'agit pas simplement d'un énoncé propagandiste, d'une vulgate étatique, mais bien d'une culture au sens d'une imprégnation populaire et large qui n'a, en fin de compte, plus grand chose à voir avec la colonisation proprement dite.
Très vite, pour légitimer son œuvre coloniale, la IIIe République va consciemment concevoir, organiser, exposer et relayer cette culture coloniale, curieux agrégat de savoirs scientifiques mal assis, de fascination exotique, d'orgueils nationaux et de calculs politiques éprouvés. Une Agence de propagande fut même instituée, véritable machine à informer les Français, de la noblesse de leur race et de la nécessaire et vertueuse mission civilisatrice qui leur incombait.
Comme par contagion, l'esprit du temps apporta sa pierre à cette propagande d'Etat, de sorte que l'œuvre coloniale s'étendit au cinéma, au théâtre, à la littérature, à l'école, à la chanson, à l'armée et aux divers supports publicitaires. La propagande conjuguée à la crainte d'un déclin de la France feront si bon ménage, que la quasi-totalité de la classe politique et des milieux économiques se retrouve sous la bannière de l'Empire lors de l'Exposition coloniale internationale de 1931, superproduction républicaine où le zoo devient humain, que l'on visite en famille, fier de la puissance retrouvée de la nation.
À l'issue de ce voyage dans notre mémoire coloniale, une évidence s'impose : avons-nous véritablement décolonisés, soixante-dix ans après la grande exposition de 1931, la société française et nos imaginaires ?