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"Un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul.
Cela fait assez longtemps que je vis ainsi, en suspension."
Mot de l'éditeur
A 36 ans, Sepha Stephanos doit se rendre à l'évidence. Sa vie n'est pas celle qu'il avait rêvée, ni même imaginée. Il a tout perdu : pays, famille. Dix-sept ans après avoir fui l'Ethiopie dans des circonstances dramatiques, il tient une petite épicerie minable dans un quartier défavorisé de la banlieue de Washington.
Ses seuls amis sont deux jeunes Africains avec qui il partage la nostalgie teintée d'amertume de leur continent et la frustration de n'avoir pu réaliser leurs projets dans leur pays d'adoption. Pour tromper sa solitude, Sepha se passionne pour la littérature et lit avidement Dostoïesvki, Naipaul ou Dante.
Mais un jour, l'arrivée dans le quartier d'une femme blanche et de sa petite fille métisse vont venir bouleverser cet équilibre précaire et lui rappeler, pour la première fois depuis des années, à quoi ressemble une famille.
Ecrit avec une grande élégance, brillamment construit, le premier roman de Dinaw Mengestu est un livre exceptionnel qui aborde des thèmes essentiels à notre époque (immigration, dialogue entre les cultures, relation à l'autre, devenir de l'Afrique et problèmes Nord-Sud), mais qui fait avant tout œuvre de littérature.
Cet écrivain n'est pas sans rappeler un autre écrivain de grand talent, Kazuo Ishiguro. Même finesse du regard sur les méandres de l'existence, même capacité à conférer une résonance universelle au destin d'un personnage.
Né en 1978 à Addis Abeba, Dinaw Mengestu et sa famille quittent l'Ethiopie deux ans plus tard pour échapper à la tourmente de la révolution, avant de trouver refuge aux Etats-Unis.
Diplômé de Columbia University, Dinaw Mengestu a écrit pour de grands magazines américains dont Harper's et Rolling Stone. Son premier roman, Les belles choses que porte le ciel (citation tirée des derniers vers de L'Enfer de Dante) a été la révélation de ce printemps aux Etats-Unis. Salué par la presse unanime et très soutenu par les libraires, il est en cours de traduction dans près d'une dizaine de langues.
extrait :
Lorsque les travaux dans la maison eurent suffisamment progressé pour que Judith puisse emménager, vers la fin du mois d'octobre, je commençai à la voir plus fréquemment dans le quartier. Je l'apercevais souvent en train de lire, assise sur l'un des bancs, devant le général Logan, en fin d'après-midi, nullement gênée par les hommes ivres qui dormaient ou titubaient autour d'elle. Un tourbillon de feuilles mortes et de détritus s'élevait de temps à autre au pied du socle de la statue de Logan et voletait dans l'air, comme délibérément, pour attirer l'attention. Judith, cependant, paraissait aussi indifférente à ce qui l'entourait que le général Logan lui-même, perché sur son cheval ; elle avait les jambes bien croisées, avec une chaussure qui pendait un tout petit peu à son pied, et elle bougeait légèrement la tête chaque fois qu'elle tournait une page. Je l'admirais de loin ; sa façon de s'asseoir, sûre d'elle, oublieuse du monde, ses cheveux parfois soulevés par un coup de vent, révélant alors les longues lignes élégantes de son cou. Elle balayait ses cheveux en arrière d'un geste net qui suggérait une concentration totale sur ce qui se trouvait devant ses yeux.
Elle prit l'habitude de s'arrêter de temps à autre à l'épicerie l'après-midi pour prendre du lait ou des bonbons pour sa fille, et nous bavardions alors brièvement sur le temps, le quartier, les enfants.
"Vous avez des enfants ? me demanda-t-elle un jour.
- Pas à ma connaissance. Mais j'y travaille.
- Dommage. C'est plus facile si on les connaît.
- J'essaierai de m'en souvenir, la prochaine fois." (...)
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