Porte-drapeau de la nouvelle génération des artistes contemporains du Sénégal, Soly Cissé présente avec son exposition personnelle une mythologie où se côtoient des formes animales ou humaines, êtres improbables: corps emmêlés, masques mortuaires, animaux hybrides. Après sa série du "Monde Perdu", remarquée au Centre Pompidou en 2005, ce peintre, dessinateur et sculpteur, admirateur de Bacon et Basquiat, explore des voies risquées, inédites. A l'écoute du monde urbain, il est de ceux qui peuvent sereinement se départir de l'adjectif "africain" sans regrets ni repentir, puisque l'Afrique d'aujourd'hui est en lui, comme facteur de modernité. Philippe Dagen le remarquait dans Le Monde : "Dans ses oeuvres, Soly Cissé donne le sentiment d'aller simplement et droit à son but, sans s'encombrer d'effets matérialistes. Il y a là sans hésitation un artiste majeur." Epopée cruelle et joyeuse, cette exposition mêle vie et tragédie, en une oeuvre puissante et salvatrice, face aux désastres actuels (la peste en 1500 chez Bruegel, les épidémies et la misère en Afrique aujourd'hui chez Soly Cissé). Dans l'oeuvre de Soly Cissé, les êtres semblent n'exister que par leur nombre, par l'alignement d'une pré-humanité. Les hommes ont des faces étranges, avortées, informes. Créatures inachevées, ébauches d'hommes fixés à un stade antérieur (postérieur?) de l'Humanité. Les enfants, les animaux, tous sont saisis frontalement, brutalement, leurs visages à demi constitués; "Monde Perdu", dont le caractère irréel apparaît à travers les regards troubles, flous. Ces personnages nous regardent comme pour prouver qu'ils ont existé, dans ce monde aujourd'hui perdu, dans un temps congédié. Peintures rupestres ? Rites amérindiens, africains ? Peu importe; finalement son art est universel, et les qualificatifs d'origine ne serviraient qu'à en limiter la portée. Sans tristesse, sans agressivité, sans jugement, mais aussi sans appel: ces regards se posent, gestes sans fin, en suspension. L'Homme a le pouvoir de regard qui dure, mystérieux, perdu, le pouvoir et la douleur du temps. L'art est rite de passage dans l'ici-bas.