Charles Cordier (1827-1905), sculpteur

L'autre et l'ailleurs
  • Charles Cordier (1827-1905), sculpteur
Genre : Exposition

Du mardi 03 février au dimanche 02 mai 2004

Horaires : 00:00
Rubrique : Arts plastiques

"Un superbe Soudanais paraît à l'atelier. En quinze jours je fis ce buste. Nous le transportâmes, un camarade et moi, dans ma chambre près de mon lit […] je couvais l'œuvre […] je la fis mouler et l'envoyai au Salon [….]. Ce fut une révélation pour tout le monde artistique. […] Mon genre avait l'actualité d'un sujet nouveau, la révolte contre l'esclavage, l'anthropologie à sa naissance… "

En 1847, la rencontre de Charles Cordier, telle qu'il la relate dans ses Mémoires, avec Seïd Enkess, ancien esclave noir devenu modèle, détermina l'orientation de sa carrière. Exposé au Salon de 1848 sous le titre de Saïd Abdallah, de la tribu de Mayac, royaume de Darfour, le buste attira l'attention et, en 1851, la reine Victoria en acquit un bronze à l'Exposition internationale de Londres. En 1855, à Paris, lors de l'Exposition universelle, le sculpteur exposa un couple de Chinois en bronze doré, argenté et émaillé, première manifestation publique de son intérêt pour la polychromie.
Il obtint des bourses du gouvernement pour des missions en Algérie (1856), en Grèce (1858), en Égypte (1866, 1868) et s'attacha à "fixer les différents types humains qui sont au moment de se fondre dans un seul et même peuple". Séjournant longuement à Alger et au Caire ou allant d'île en île dans l'archipel des Cyclades, il rapporta de ses voyages bustes, médaillons et statuettes.
Ces portraits constituent un aspect notable de l'œuvre de Cordier. De nombreux bustes ethnographiques, l'Enfant kabyle, la Mauresque noire, la Mulâtresse, prêtresse à la fête des fèves… furent clairement décrits par le sculpteur comme des portraits d'individus rencontrés lors de ses missions, voire de figures historiques, tels la Femme hydriote, représentation rétrospective de Lascarina Baboulina, héroïne de l'indépendance grecque, Giuseppe Garibaldi, le maréchal Randon, gouverneur d'Alger (1856), ou bien encore l'explorateur Savorgnan de Brazza (1904)…
Parallèlement, Cordier s'oriente vers la recherche décorative en utilisant la polychromie naturelle des marbres, principalement le marbre-onyx d'Algérie dont les carrières, exploitées dans l'Antiquité, viennent d'être redécouvertes. Il montre également un goût certain pour les jeux de patine du bronze (argentée, dorée ou colorée) et utilise parfois l'émail. Cet aspect de sa création tranche avec la blancheur dominante des marbres exposés au Salon, tels que lui-même en crée d'ailleurs régulièrement. Colorée, vivante et parfois luxueuse, la sculpture de Cordier, incomprise de certains de ses contemporains, témoigne aujourd'hui de la variété des inspirations recherchées par les artistes du second Empire.

Par ailleurs, comme la plupart des sculpteurs de son temps, Cordier participa aux grands chantiers du second Empire, publics (Opéra, le Louvre, l'Hôtel de ville), ou privés (pour le baron James de Rothschild au château de Ferrières). Auteur de monuments à Ibrahim Pacha au Caire et à Christophe Colomb à Mexico, il compte parmi ses amateurs Napoléon III et l'impératrice Eugénie, qui acquit pour son Musée chinois au palais de Fontainebleau la Femme arabe, torchère en marbre-onyx et bronze argenté.

Les types algériens, grecs et égyptiens, ce travail sur la couleur posent nécessairement la question de l'orientalisme. Si Cordier participa de cette génération qui comptait Fromentin ou Bida et cherchait à retrouver l'exactitude des types, l'Orient du sculpteur ne fut pas un pittoresque d'artiste voyageur ou de décorateur parisien, la démarche "scientifique" même du sculpteur empêchant cette assimilation. Il était néanmoins difficile d'échapper à son siècle et à une fascination culturelle pour l'ailleurs. En effet, à trois reprises, Cordier choisit de vivre dans un décor mauresque : son atelier boulevard Saint-Michel à Paris (1864), ses villas à Orsay (1867) et à Nice (1870), toutes deux détruites aujourd'hui. Délaissant Paris à la fin du second Empire, Cordier s'installa dans un premier temps à Nice, puis, à partir de 1890, à Alger où il finit ses jours.

L'exposition, la première jamais consacrée à Cordier, s'articule autour de six sections. Les débuts du sculpteur et l'abolition de l'esclavage sont évoqués par ses deux premiers bustes ethnographiques, Saïd Abdallah et la Vénus africaine, offerts par la reine Victoria au prince Albert en 1851, et par une œuvre emblématique, Aimez-vous les uns les autres (1867), célébrant l'amitié entre les peuples. L'œuvre anthropologique de Charles Cordier présente la série complète des bustes du laboratoire d'anthropologie du musée de l'Homme, accompagnée d'autres bustes et statuettes réalisés d'après des habitants d'Algérie, de Grèce, d'Italie et d'Égypte. Un choix de photographies et de daguerréotypes ethnographiques par les photographes Louis Rousseau, Jacques-Philippe Potteau ou Henri Jacquart, exactement contemporains des œuvres de Cordier et provenant des collections de la Photothèque du musée de l'Homme, établit un parallèle entre sculpture et photographie, deux outils au service de l'anthropologie naissante. La carrière officielle de Cordier est illustrée par des esquisses ou des réductions de sculptures monumentales et des portraits de commande. Une section est consacrée à l'édition et à la technique, proposant, à partir de l'exemple du couple de Chinois, la déclinaison d'une même œuvre en différents matériaux et dimensions, mais aussi des exemples de patines argentées, l'édition de masques à destination des artistes et écoles d'art et enfin les techniques d'assemblage des marbres, autour du Nègre du Soudan du château de Compiègne et de la gammagraphie de l'exemplaire du musée d'Orsay réalisée en septembre 2003.
Le Nègre du Soudan, la Capresse des colonies, l'Arabe d'El Aghouat, la Juive d'Alger, la Poésie, la Femme grecque en médaillon du musée de Cambrai et la torchère Femme arabe, acquise en 1863 par l'impératrice Eugénie, prêt exceptionnel du château de Fontainebleau, clôturent l'exposition : ce triomphe de la polychromie témoigne de la splendide singularité du talent de Cordier, figure majeure de la sculpture française sous le second Empire qui prôna, à travers son art, le respect de l'autre.


Commissariat
Laure de Margerie, documentaliste au musée d'Orsay, et Édouard Papet, conservateur au musée d'Orsay, avec la collaboration de Christine Barthe, responsable des collections photographiques du Musée de l'Homme


INFORMATIONS PRATIQUES
Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, de 10h à 18h, le jeudi de 10h à 21h45 et le dimanche de 9h à 18h.
Tarification :
Droit d'entrée au musée : plein tarif : 7€ ; tarif réduit et dimanche : 5€
Accès :
Pour les visiteurs individuels : quai Anatole France (milieu du bâtiment vers le pont Royal)
Pour les visites en groupe : rue de Lille (terrasse Lille, à hauteur de la rue de Poitiers)
Informations : Site Internet : http://www.musee-orsay fr
Publication : Catalogue de l'exposition Charles Cordier (1827/1905), l'autre et l'ailleurs, éditions de La Martinière, 21x28,7 cm, 256 pages, 364 illustrations couleurs, 280 illustrations noir et blanc, 45 €
Présentation à la Presse : 2 février 2004

QUELQUES TEXTES
LE SALON DE 1848 ET L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE
En mars 1848 Cordier expose au Salon son premier plâtre, Saïd Abdallah. Le 27 avril cette même année, sous l'influence de Victor Schoelcher et d'associations abolitionnistes, le gouvernement de la IIe République abolit l'esclavage dans les colonies françaises. Cordier rappelle dans ses Mémoires cette concordance des dates. Il est le seul sculpteur de la deuxième moitié du XIXe siècle à consacrer, de manière généreuse, la majeure partie de son œuvre à la représentation de la diversité humaine. L'ambition de Cordier est double : participer au mouvement scientifique du siècle qui visait à répertorier les populations de la terre et représenter, selon ses propres termes, "l'ubiquité du beau". Le buste exposé au Salon de 1848 est né de la rencontre, à l'atelier de Rude, avec un modèle noir, ancien esclave, Seïd Enkess, dit Saïd Abdallah. Remarqué par des sculpteurs réputés comme Pradier, le buste de Saïd est présenté en 1851 en bronze à l'Exposition internationale de Londres, avec son pendant, la Vénus africaine : tous deux sont acquis par la reine Victoria pour le prince Albert. Vingt ans plus tard, Cordier persévère dans ses positions abolitionnistes en réalisant un groupe allégorique, Aimez-vous les uns les autres dit aussi Fraternité, dont la composition se rapproche d'une gravure révolutionnaire.

LA GALERIE ANTHROPOLOGIQUE
Entre 1851 et 1869, l'État dépose au Muséum d'histoire naturelle 15 bustes de Cordier, accédant ainsi au désir de l'assemblée des professeurs. Les rares descriptions existantes de la Galerie d'anthropologie décrivent les sculptures de Cordier exposées avec des moulages sur nature, des crânes, des anatomies de cire, des squelettes, des momies, des photographies. Le moulage sur nature de Seïd Enkess, retrouvé à l'occasion de la préparation de cette exposition, permet la confrontation, rarement réalisable, entre le modèle et son portrait, entre moulage et modelage, entre la réalité et la création artistique.
En 1860, Cordier expose sa "Galerie anthropologique et ethnographique pour servir à l'histoire des races" au sein de l'Exposition des produits de l'Algérie. Outre les Algériens, les Africains et les Chinois déjà connus, cette galerie comporte également des types européens d'origines diverses, essentiellement grecs, italiens mais aussi provinciaux français. Le caractère ethnographique de certaines œuvres reste quelque peu mystérieux, ainsi le no 40 : Bonaparte, Premier consul, buste en marbre. Le succès de curiosité est grand et l'État acquiert plusieurs bustes.
L'aspiration scientifique de Cordier est attestée par la communication qu'il fait, en 1862, à la Société d'anthropologie de Paris, dont il est membre. Il y explique sa méthode de sculpteur ethnographe et fait don de trois têtes, le Chinois, le Nègre du Soudan et l'Arabe d'El Aghouat, pour représenter "les trois principaux types du genre humain".

LA PHOTOGRAPHIE ETHNOGRAPHIQUE
Au moment où Cordier modèle ses bustes pour la galerie anthropologique, la photographie ethnographique est en plein essor. Les premiers daguerréotypes ethnographiques sont réalisés soit à l'occasion du passage des modèles à Paris (les Indiens Botocudos photographiés par Thiésson en 1844) soit lors d'expéditions (celle de Guillain en Afrique orientale, 1846-1848). La troupe de cavaliers algériens venus à Paris en juin 1851, pour une fantasia donnée à l'hippodrome du Champ-de-Mars, retient l'attention des responsables du Muséum d'histoire naturelle. Contre rémunération, les cavaliers sont moulés sur nature et Henri Jacquart réalise une série de daguerréotypes, montrés jusqu'en 1863 dans la Galerie d'anthropologie non loin des bustes de Cordier.
Jacques-Philippe Potteau, préparateur au Muséum, réalise en 1862 des photographies de membres de l'ambassade du Japon. A partie de cette date, il constitue une collection de 580 portraits anthropologiques, Algériens, Kabyles, Indiens, Annamites, Chinois, Bohémiens, Italiens, Français. Dès 1863, le Moniteur de la Photographie considère que ces épreuves "seraient de très beaux portraits quand même elles ne seraient pas de précieux documents pour la science". Le parallèle avec les bustes de Cordier s'établit aisément. A travers leurs œuvres se perçoient la même approche respectueuse du modèle.

LA CARRIERE OFFICIELLE DE CHARLES CORDIER
Les sculptures à caractère ethnographique ne représentent qu'une partie de l'œuvre de Cordier et le reste de ses créations est parfaitement représentatif de la carrière d'un sculpteur sous le second Empire. Sculptures académiques (l'esquisse Andromède, (cat. 103), portraits (cat. 99, 100, 101), prestigieuses commandes privées (pour le baron James de Rothschild au château de Ferrières) et publiques (pour le foyer du nouvel Opéra de Paris, pour l'Opéra de Monte-Carlo), monuments publics (Christophe Colomb à Mexico, cat. 108-109) rythment la carrière de Cordier. Les Atlantes (cat. 104, 105, 106) pour la tribune du hall du château de Ferrières demeurent parmi les œuvres les plus spectaculaires de Cordier, témoignant des qualités monumentales de l'assemblage du marbre-onyx et du bronze. Ce n'est pourtant pas Cordier que Charles Garnier choisit pour les cariatides polychromes du grand escalier de l'Opéra de Paris, mais il lui confie néanmoins une des cheminées monumentales du foyer (cat. 107).

ÉDITION
Par son désir de répandre son œuvre, Cordier appartient bien à son temps. Depuis les années 1830, l'édition de la sculpture permet de façon aisée multiplication et réduction. Le cas des Chinois, modelés d'après la famille d'un marchand de thé de Canton de passage à Paris, est représentatif. La première version présente les bustes à mi-corps, en bronze. Cordier en réalise quelques-uns en bronze précieusement émaillés. Puis il en tire une version moins majestueuse, coupée aux épaules, dans laquelle la natte du Chinois s'enroule autour de sa tête. Il existe de cette deuxième version des exemplaires en bronze, et cas unique dans l'œuvre de Cordier, en porcelaine dure. C'est à un ancien camarade de l'atelier de Rude, Charles Baury, associé au fabricant de porcelaine Désiré Théodore Vion, qu'il confie cette exécution.
L'édition en dimensions plus modestes permet au sculpteur une large diffusion de certaines de ces œuvres. Les pendants à succès, Saïd Abdallah (1848) et la Vénus africaine (1851), les Chinois (1853), la Capresse des colonies (1861) et le Nègre du Soudan (1856) (cat. 88) sont ainsi proposés en format réduit. Sous forme de masques en bronze ou plus modestement en plâtre, on les retrouve dans certains ateliers d'artistes des deux côtés de l'Atlantique. A Boston, l'éditeur de plâtres Caproni les commercialise dans ses catalogues.


TECHNIQUE
Cordier est l'un des pionniers de la sculpture polychrome au cours des années 1850-1870. Il accorde une grande attention aux jeux de patine du bronze, utilisant parfois l'émail pour ses premiers essais : le Chinois en offre l'un des plus beaux exemples (cat. 80). Par ailleurs, le sculpteur met au point une argenture oxydée, probablement électrolytique, visant à évoquer la peau sombre des Africains, patine employée aussi bien pour les bustes grandeur nature que pour les réductions. Enfin, Cordier agrémente certaines sculptures d'incrustations de pierres semi-précieuses, utilisant les techniques de la joaillerie.
Cordier utilise surtout la polychromie naturelle des marbres, principalement le marbre-onyx d'Algérie, son matériau de prédilection, dont les carrières, exploitées dans l'Antiquité, venaient d'être redécouvertes. Le marbre-onyx, variété compacte et translucide d'albâtre calcaire, résulte de la formation de concrétions souterraines stalagmitiques. Sa coloration varie suivant la nature des oxydes, du blanc au rouge en passant par toutes les nuances de brun, et ses motifs circonvolutionnés plus ou moins réguliers lui donnent des qualités hautement décoratives. Cordier sut toujours judicieusement les mettre en valeur pour le rendu des vêtements de ses bustes, comme en témoignent la Poésie et les diverses versions du Nègre du Soudan.
Les assemblages sont souvent simples, tel le Nègre du Soudan dont le turban est simplement calé sur la tête. La gammagraphie de l'exemplaire du musée d'Orsay montre comment le sculpteur a utilisé l'étude ethnographique préalablement réalisée. D'autres assemblages sont plus complexes, comme celui de l'Arabe d'El Aghouat, dont le burnous, constitué de deux morceaux de marbre-onyx, enserre la tête en bronze qu'un tenon métallique, fiché au sommet du front, maintient sur son axe. La Muse constitue un rare exemple de "restauration" d'une œuvre peut-être antique en marbre bleu turquin : Cordier y insère, non sans audace, le portrait de son épouse, Félicie Berchère.

Renseignements / Lieu


( 2004-02-03 00:00:00 > 2004-05-02 00:00:00 )
1 rue Bellechasse
Paris ( 75007 )
France




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