Nous avons publié un article sur ce sujet qui a déclenché de nombreuses réactions et a été signé par plein de gens, à lire [ici].

Voici le "Murmure" de Paul Hermant à propos de Freddy Tsimba, dans Le Grand charivari, RTBF, Musiq3, dimanche 22 octobre 2011

C'est une histoire comme il s'en passe tellement. Une histoire à bas bruit. Il y en a tous les jours que le temps fait. En voici une que je vais vous murmurer. Car je sais bien que ces choses là ajoutent à notre fardeau de l'homme blanc. Surtout quand il est habillé en bleu.
Bon, il s'agit de Freddy Tsimba. Il est Congolais. Il est sculpteur, auteur entre autres de cette œuvre qui ouvre Matongé, à Bruxelles. Il est connu et reconnu. Il travaille surtout avec des douilles qu'il assemble pour en faire des figures étranges et familières de corps qui semblent n'être jamais sortis de la guerre. Son atelier, à Kinshasa, il l'appelle "le corridor humanitaire". Il ne serait pas étonnant que nous l'invitions ici, il aurait sa place pleine dans ce studio parce qu'aussi, c'est un homme rare. Sans doute le premier plasticien du Congo. Et puis, pour dire les choses comme elles sont, c'est aussi un ami. Du genre qu'on invite pour Noël, c'est dire.
Donc, Freddy qui voyage beaucoup aime les allers-retours entre son travail là-bas et ses expositions ici. Il y a quelques jours, tandis qu'il arrivait à Bruxelles, par l'entremise entre autres de l'Agence de Coopération fédérale, il a fait une nouvelle découverte : un acronyme, une abréviation plutôt. Il a beau s'appeler Freddy, il est devenu INAD. INAD, ça veut dire Inadmissible. Ça pourrait aussi bien vouloir signifier Inadapté. Mais ça veut dire surtout que vous vous retrouvez enfermé, sous les verrous, derrière les barbelés. Vous ne quittez pas tout à fait les douilles. Vous êtes dans le métal, dans le plomb fondu de l'administration.
Il y a eu, on va dire, une erreur de compréhension d'un visa mal libellé que chacun - l'agence fédérale, la compagnie d'aviation, les organismes culturels invitants- a interprété à sa manière. Jusqu'à Zaventem. Où un visa réputé valable ne le devient subitement plus et vous savez alors comment ça se passe. Coupable, forcément coupable. Bref, Freddy qui voulait notamment assister à l'enterrement de Dieudonné Kabongo, s'est fait son deuil tout seul en centre fermé.
Ce qui est bien, c'est qu'au moins là-bas, au Centre, il a pu croiser des gens parfaitement en ordre, avec même pas d'erreurs, mais tout de même détenus quelque temps avant libération sans excuse, se demandant encore ce que pouvaient bien dire ces documents en flamand qu'on leur faisait signer. Lui, il a accepté de retourner à Kinshasa par un prochain vol. Il était attendu à Strasbourg pour ses œuvres, mais peu importe, l'empêchement du territoire vaut aussi interdiction de travail.
Voilà c'est juste une histoire mais ce n'est pas une histoire juste. C'est de l'argent, du temps et du talent perdus. On voudrait que ça circule et que la circulation fasse culture, mais bon, pas besoin de traverser les mers en rafiot pour s'apercevoir que ça ne fonctionne pas. Ce méchant faux mot d'INAD, parce qu'il est honteux et qu'on le porte comme un stigmate pourrait bien aussi lui briser sa carrière.
Je sais, c'est juste une petite histoire humaine. Je sais, c'est juste encore une histoire de gens qui veulent nous rendre visite. Je sais, c'est encore une histoire où l'administration ne parvient pas à enlever son képi. Je sais, on a autre chose à faire. Mais si pas ça, quoi ? Je vous souhaite le bon jour.

Podcast (démarrer l'écoute à 12'30'') :
http://podaudio.rtbf.be/pod/m3-chari_le_grand_charivari_2011-10-22_oedipe_10558463.mp3