Au-delà des effets de surface.
Transpercer l'apparence, biffer le sens unique, exploser l'évidence. Le programme de Rachid Ouramdane invite à une troublante prise de conscience : l'identité intime est insaisissable et ne se donne qu'au prix d'un long travail de regard.
Que dit le chorégraphe Rachid Ouramdane lorsqu'il dissimule son visage derrière le maquillage d'un clown ou se cagoule d'un casque de moto intégral ? Hypothèses : il murmure que tout masque cache et révèle dans un même mouvement celui qui l'exhibe,que l'identité ou l'idée qu'on s'en fait ressemble à une partie de colin-maillard entre soi et soi. Il ajouterait qu'il faut ôter de nombreuses couches et sous-couches pour approcher du coeur battant d'une personne. "Que ce soit à travers le procédé vidéo de morphing dans le spectacle Au bord des métaphores ou du port d'un masque, il y a toujours l'idée de l'instabilité des identités qui se brouillent et se recomposent sans cesse. Cette obsession est presque de l'ordre de la peur. L'urgence de nuancer pour que l'autre en face ne s'arrête pas sur la première expression de la personne est fondamentale. Chacun est multiple." Qui est donc Rachid Ouramdane, grand trafiquant d'apparence pour mieux forcer le regard à fouiller le secret des choses ? D'abord un homme pudique, mais aimant paradoxalement converser, un métis culturel toujours entre plusieurs mondes.Pour ce fils d'algériens réfugiés dans le mutisme, la parole confisquée des pères sur la guerre d'Algérie reste une blessure ouverte que la scène permet de panser. Lorsqu'il se met en scène dans le solo Les Morts Pudiques en 2004, huit ans après avoir fondé avec Julie Nioche l'association fin novembre, Rachid Ouramdane remet à plus tard un travail de recherche sur l'iconographie guerrière pour jeter les bases d'un autoportrait en jeune homme perfusé. Connecté sur Internet, il collecte les témoignages de jeunes suicidés ou hantés par la mort et se passionne parallèlement pour les nombreux Rachid Ouramdane (dont un footballeur) qu'il recense sur la Toile.
Lui a passé son enfance à Cran-Gevrier dans l'agglomération d'Annecy où il découvrit la danse classique à l'âge de 15 ans au cours de Martine Forot d'Art'Dance Studio et fit ses premiers pas sur la scène de Bonlieu Scène nationale. Retour donc sur des traces avec une nouvelle création intitulée Un Garçon debout taillée sur mesure pour le metteur en scène Pascal Rambert. Le titre épingle en douce une des postures de Rachid Ouramdane, plus souvent bien droit debout dans ses bottes sur le plateau que chutant ou cherchant dans un rapport au sol de bonnes raisons de se remettre sur pied. Après de nombreuses collaborations comme interprète auprès des chorégraphes Hervé Robbe, Odile Duboc et Meg Stuart, toujours des complicités amicales avec Christian Rizzo, Rachid Ouramdane a resserré une ceinture gestuelle autour de quelques mouvements où il questionne plus la présence, la masse corporelle, son indice de puissance dans l'immobilité, sa capacité de fascination. Dans sa pièce inspirée par un séjour au Brésil intitulée Cover, les personnages tous ripolinés de la tête aux pieds de peinture dorée marchent tout simplement, déplacent des objets, imposant la beauté mortifère d'un monochrome précieux où la peau même est un leurre.
Rosita Boisseau
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