"La Sueur du Bournous" est un livre de Paul Vigné d'Octon réédité en 2001.
" Dans ce livre, j'expose les crimes et les abus de toute sorte perpétrés journellement par notre administration, tant civile que militaire, à l'égard des indigènes de nos possessions nord-africaines et plus particulièrement de l'extrême-sud où, à cause de l'éloignement et de l'absence de tout contrôle par l'opinion publique, le plus cruel arbitraire s'épanouit librement.
Exactions, refoulement, spoliations, iniquités fiscales, mauvais traitements, toute cette flore de cruautés et d'injustices dont le soleil d'Afrique semble faciliter la croissance et l'évolution, vous la trouverez décrite, ainsi que toutes les variétés de gabegie, toutes les formes de concussion et de prévarication dont se rendent coupables la plupart des fonctionnaires qui ont pris pour devise : " Que le burnous est fait pour suer. " "
Ainsi le médecin Paul Vigné (1859-1943) présentait-il ce rapport implacable, publié en 1911 dans La Guerre sociale, au terme d'une enquête officielle, menée principalement en Tunisie.
La sueur du burnous est le fruit d'une enquête officielle, menée pendant trois ans, de 1907 à 1909, principalement en Tunisie, protectorat français depuis 1881.
L'enquête avait été menée par l'auteur, médecin des troupes coloniales, qui fut parmi les premiers à dénoncer la politique coloniale de la IIIème République, ses pillages et ses massacres de populations. Le même auteur avait déjà fait paraître un pamphlet, La gloire du sabre, en 1900, dénonçant les atrocités commises par les troupes et les colons en Afrique, à Madagascar, au Tonkin. Pour son second ouvrage, craignant que son rapport ne finisse au fond d'un tiroir, il eut la prudence de le faire publier sous forme de feuilleton dans le journal anarchiste La Guerre Sociale.
Pour les autorités françaises, ainsi que leurs collaborateurs tunisiens, les gros colons et les industriels qui s'installèrent alors en Tunisie, faire "suer le burnous" signifiait tirer le maximum de profit de l'exploitation du peuple. Ils le firent par tous les moyens possibles, légaux d'ailleurs, la loi étant toujours du côté des spoliateurs contre les pauvres, pillés, affamés, jetés en prison ou même tués dès qu'ils ne pouvaient plus payer.
Cela commençait par l'impôt, ou plutôt les impôts de toute sorte, qui frappaient plus le bédouin que le riche habitant de Tunis, le plus injuste d'entre eux étant la "medjba" ou capitation, chacun devant payer la même somme, quels que soient ses revenus. En plus des sommes "légalement" dues qui pesaient sur le paysan s'ajoutaient celles que s'octroyait le fonctionnaire en lui donnant de faux reçus, tablant sur le fait que celui-ci ne savait pas lire et lui réclamant plusieurs fois la même somme. Pour la même raison, l'ouvrier arabe employé dans la compagnie phosphatière de Gafsa par exemple ne touchait que la moitié du salaire annoncé, déjà très bas, soumis en plus à des amendes pouvant atteindre le quart du salaire.
Mais la principale spoliation résidait dans le vol des terres des paysans, redistribuées ensuite aux colons. Ainsi, sur les neuf millions d'hectares de terre cultivable, 500 000 étaient détenus par 70 gros colons et la compagnie minière de Gafsa en possédait deux millions à elle seule.
En annexe au livre, un autre texte de Vigné d'Octon, datant des années vingt, montre comment les Tunisiens furent enrôlés de force pour la guerre de 1914-1918 et les massacres perpétrés contre ceux qui tentaient de s'enfuir.
Vigné d'Octon n'hésitait pas à dénoncer les hommes politiques et autres profiteurs de son temps, dont la plupart sont aujourd'hui tombés dans l'oubli, mis à part Clemenceau, ardent partisan de la colonisation, ou Galliéni, directement impliqué dans des trafics visant à l'enrichir. Au total, l'ensemble compose un récit qui montre la férocité de la colonisation effectuée par "cette république de bourgeois et de repus, au nom de laquelle on razzie, on pille, on viole, on assassine de malheureux loqueteux !"