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"Je veux parler avec les quelques mots qui me restent.
J'ai envie de couper cette langue malade de peur et de honte.
J'ai envie d'apprendre une autre langue.
J'ai envie d'avoir un visage, une voix, des yeux, des larmes.
J'ai envie d'être un sourire.
J'ai envie de goûter aux fruits, de boire.
J'ai envie d'avoir des poumons, de respirer. de respirer et de crier.
J'ai envie d'avoir des mains, des doigts, de caresser un corps et de sentir sa chaleur.
J'ai envie de marcher, d'avoir des pieds, de faire des pas, de courir
et de tomber.
J'ai envie d'être un cœur, de me battre".
Ce texte défile à l'écran à la fin des Egarés, vidéo réalisée par mounir fatmi en 2004 et présentée pour la première fois à l'Espace des Arts de Colomiers à l'occasion de l'exposition de l'artiste, Jusqu'au bout de la poussière. Des silhouettes de jeunes gens debout sur la coupole d'un marabout se découpent dans le ciel tunisien. La caméra se fait arabesque pour dessiner corps et architecture, inventant une topologie. L'ordre politique et religieux inscrit ici (un lieu sacré dans un paysage intemporel) se voit contesté par une prise de possession intempestive. Avec une impertinence tranquille et résolue, ces garçons et ces filles affirment leur désir, silencieusement : en finir avec l'ordre établi, oser un nouveau regard, inventer de nouveaux horizons.
Anticipant l'intrusion de la police - alertée comme il se doit en un temps record par des téléphones portables efficaces - Mounir Fatmi avait pris le soin de préparer quelques cassettes destinées à la réquisition. Devant le risque, l'action se devait d'être brève - moins d'une heure de rushes - et déterminée. Chacun affirmant, malgré la conscience de sa fragilité, la nécessité d'une prise de pouvoir.
Quel pouvoir ? Celui d'un individu refusant l'assujettissement au collectif,
revendiquant sa liberté d'aimer, d'inventer, de résister. Cette pulsion de vie est volonté d'échapper à la névrose obsessionnelle dont témoignent les vrais égarés, ceux qui, dans la dernière partie de la vidéo, psalmodient, à leur insu, l'ordre du discours.
Odile Biec, Evelyne Toussaint,
extrait du texte Comprendra bien qui comprendra le dernier
2004 - Tunisie, France - 9 min
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